Tristan Baille : Bonjour Mr Daguerre. Je suis si heureux de vous rencontrer.
Jean Philippe Daguerre : Merci pour l’intérêt que vous portez à cette pièce.
Tristan Baille : D’où vient l’idée de cette pièce ?
Jean Philippe Daguerre : D’un reportage de l’INA de 20 minutes sur Facebook. Une famille de mineurs en 1958. On voyait un jeune homme de 18 ans qui en faisait 35 tellement il était marqué. Il creusait dans les mines à 700 mètres de profondeur 6 jours sur 7. Et le soir, en rentrant, pour se détendre, il élevait par passion des pigeons voyageurs. Et donc je trouvais très beau la parabole de cet homme qui bosse dans le noir et qui élève un animal qui va vers la lumière, vers le ciel. Je me suis dit que ça ferait un beau personnage poétique. Ça m’a donné envie de m’interroger à ce milieu des mineurs de fond. Dans le reportage on voyait aussi une mère qui nettoyait la salade 5 fois. Elle la rinçait parce qu’il y avait beaucoup de poussière sur les murs ou les potagers. Il y avait de quoi imaginer un décor de théâtre. Et c’était en 58. Avec la coupe du monde de foot et Raymond Kopa. La première fois où l’équipe de France terminait 3eme d’une compétition ! Je me suis rappelé qu’il avait des origines polonaises et donc j’ai placé l’histoire dans la cité minière liée à une partie de son enfance. J’aimais l’image de se cotiser pour voir Kopa jouer au foot à la télé.
Tristan Baille : Mr Haffmann, le petit coiffeur…le charbon dans les veines…Êtes vous nostalgique d’une époque où les hommes avaient plus de courage ?
Jean Philippe Daguerre : Je pense qu’il y a du courage à toutes les époques. Je ne suis pas nostalgique. Il y a eu un traumatisme psychologique avec le confinement qui a amené les gens à avoir peur des autres. Peur de la maladie, peur de la mort, peur de l’étranger. On est dans une société qui manque de sérénité. J’ai été marqué par cette fissure entre la campagne, les ouvriers, et les bourgeois parisiens. La crise sociale avec des gens qui ne se sentent pas reconnus. Un problème identitaire.
Tristan Baille : De reconnaissance.
Jean Philippe Daguerre : Oui. Donc je trouvais beau d’aller chercher, même si le milieu ouvrier est un endroit dur, des leçons de vies philosophiques, humoristiques, humanistes et existentielles, plus évidentes pour moi qu’ailleurs. Le point commun entre toutes les pièces historiques, c’est qu’on est chez des gens humbles. Tailleurs de pierre. Coiffeurs. Mineurs de fond. Avec ce retour à un peuple considéré, très respecté. Car les gens savaient qu’ils mouraient avant 50 ans, qu’ils se tuaient au travail pour avoir du charbon et se chauffer. Je pense qu’il faut remettre en question aujourd’hui ce principe de considération. Cela permettrait de moins voter pour des extrêmes racistes. La pièce est un pamphlet sur l’acceptation de la différence. L’immigration a toujours été présente. Mais à travers les mineurs et leurs « gueules noires », le métier était si difficile qu’il y avait aussi de la joie au delà des origines ou de la langue, il y avait des copains et de la solidarité. J’essaie ainsi de rendre hommage à ce milieu. Le spectacle permet de poser des mots sur des émotions que je ressens. Contre la facilité que l’on peut avoir très vite d’être radical. Le but, pour un homme, dans une vie, c’est de trouver le meilleur de soi.
Tristan Baille : D’où cette amitié entre ces deux hommes dans la pièce. Et l’amour aussi !
Jean Philippe Daguerre : C’est rempli de pudeur. Ils ne savent pas toujours expliquer les choses. Leur vie est complexe et ils s’expriment parfois par le regard parce que le vocabulaire leur manque. Ce qui n’empêche pas de grandes discussions d’ailleurs…
Tristan Baille : La scène où le père et le fils parlent de leur mère défunte…même avec le silence, elle est extrêmement touchante.
Jean Philippe Daguerre : On se sert beaucoup de ce qu’on observe de soi même, de notre propre histoire, et cela nous inspire, quand on écrit. J’ai perdu la mère de l’une de mes filles. Pendant longtemps, ma fille et moi, on avait du mal à communiquer car on pensait à elle quand on se voyait. Il y avait cette tension de l’absence. Les personnages me permettent de transmettre les émotions que j’ai pu avoir. Ça peut aider d’autres gens vivant la violence, ou le deuil.
Tristan Baille : Il y a beaucoup d’ingéniosité dans la mise en scène. Ça va assez vite. Jusqu’à des scènes simultanées. Comment gère t on cela quand on travaille ?
Jean Philippe Daguerre : On fait toujours un travail précis sur la lecture. On part du texte. On corrige parfois. Et il y a quelques principes. 2 ou 3 lieux qui se transforment. C’est aussi cinématographique. On a des tulles sur scène. On passe de cour à jardin directement. C’est une écriture que j’adapte dans les pièces historiques. Mais la prochaine pièce sera très différente. L’époque sera en 73. J’ai fait 3 volets dans 3 périodes différentes. Il faut toujours que les spectateurs soient un peu surpris.
Tristan Baille : Justement. Ils l’étaient. Les dialogues fusent, il y a une énergie énorme.
Jean Philippe Daguerre : C’est écrit comme on parle. Comme une conversation enregistrée à cette époque là. Ce sont mes personnages qui écrivent ma pièce. Je suis avec eux, ils m’accompagnent et j’essaie d’être en eux, dans leur tête, leur cœur, dans leur façon de parler, dans ce qu’ils vivent, dans les mots d’argot qu’ils vont avoir à la bouche, et même dans les mots dont ils auront honte.
Tristan Baille : Tous ces objets, ustensiles, le vieux poste, la télé ancienne, les meubles…d’où viennent ils ?
Jean Philippe Daguerre : Le scénographe ! Antoine Milian.
Tristan Baille : Sacré travail !
Jean Philippe Daguerre : Et la lumière de Moise Hill ! Oui, leur travail est vraiment précieux pour moi. Et Hervé Haine complète cet univers avec sa musique. Les costumes de Virginie H plongent le spectateur dans cette époque. Je suis gâté. Ils arrivent à trouver ce dont j’ai envie. Mais ils me bousculent un peu. Et malgré ce que je veux au départ, ils sont créatifs dans leur interprétation de mes attentes. Au point que leurs idées influencent ma mise en scène.
Tristan Baille : Le racisme, l’amour, l’amitié, l’argent, le désir, l’homosexualité…beaucoup de thématiques sont abordées avec une certaine finesse. Le médecin par exemple…
Jean Philippe Daguerre : Il est inspiré d’un vrai docteur dans la famille de ma femme. Il avait fait beaucoup d’études. Mais il voulait travailler dans le quartier le plus populaire de Paris. Alors à travers lui, je rends hommage à un homme bon qui a vraiment existé. Il y a une phrase qui parle bien de ça dans la pièce : « Dans la vie, au fond, quelle que soit le métier qu’on fait, l’argent qu’on gagne, et tout ce que l’on possède, c’est l’émotion que nous procure les autres qui me remplit ».
Tristan Baille : Merci beaucoup !
Jean Philippe Daguerre : C’était un plaisir !