J’ai eu la chance de rencontrer au Royal Barrière pour le festival américain de Deauville, Rebecca Miller, la réalisatrice du film « She came to me ». Pour Crush magazine.
Tristan Baille : Très tôt dans le film, Steven (Peter Dinklage) parle de musique pendant une répétition et, si je me souviens bien, prononce une phrase difficile à traduire exactement en français.
Rebecca Miller : I can’t get inside.
Tristan Baille : Nous avons l’expression « Je ne suis pas dedans en français ». Mais est-ce vraiment cela ?
Rebecca Miller : Et bien…quand vous écrivez ou jouez, ou composez de la musique, il faut parfois laisser tomber, vous savez. Parfois, vous essayez de faire quelque chose, vous avez la sensation que vous n’êtes pas loin d’y arriver, mais ce n’est pas encore ça, et cela vous empêche de bien travailler. Dans certains de mes romans, j’écrivais des centaines de pages et je devais finalement les jeter. Je n’étais pas…vraiment…dedans. Mais c’est difficile à expliquer. Mais le personnage du compositeur…il a beaucoup de pression. Il est bloqué, il n’est pas au cœur de la chose, et j’aime comment Peter dit cette phrase. Parce qu’il comprend vraiment ce que le personnage ressent dans le film. Comme on le ressent dans la vie.
Tristan Baille : Justement. Les films parlent de la vie. Des gens. « She came to me », pour moi, est une histoire sur la vulnérabilité. Une famille en crise. Une histoire d’amour en crise. Une inspiration en crise. Un peu comme dans votre autre film, « Maggie a un plan ». Est-ce que cette vulnérabilité est difficile à transmettre dans un film ? Comment faites vous pour que les acteurs dévoilent cette part de fragilité qui est en eux ?
Rebecca Miller : Voyons…vous savez, une des importantes tâches, quand vous dirigez un film, est de trouver les bons partenaires. De trouver les acteurs capables de devenir une part de vous-même. Qui vont faire corps avec le film. En toute confiance. Alors évidemment, vous allez parfois partir dans telle ou telle direction, mais fondamentalement, nous comprenons tous le ton du film. Son ambiance. Son atmosphère. Et tous les personnages adultes de ce film, sont des âmes en peine. Secrètement tristes. Mais comment approcher cette notion ? En les amenant vers quelque chose de plus lumineux, de meilleur, c’était cela, mon challenge. Vers une sorte d’alchimie entre eux…car c’est ainsi que les gens souffrent, ont des problèmes et en parlent. En vérité, chacun créait avec l’autre.
Tout le temps. Changeait. Affectait l’autre. Et ça, pour moi, c’est la beauté de ce film, et c’est très proche de ce qu’est le jeu d’acteurs. Jouer, c’est parler, écouter, et répondre. C’est ce que les grands acteurs comprennent. Peter et Marisa, assis dans ce bar, pour moi…c’est comme une leçon de comédie. Deux organismes. Qui s’émeuvent l’un l’autre, on dirait qu’on regarde deux plantes aquatiques, je ne sais pas, c’est un processus difficile à expliquer, deux plantes qui vont s’entremêler sans s’en rendre compte. Et c’est comme ça que les choses se passent.
Tristan Baille : Si Patricia (Anne Hathaway) semble fragile au départ, elle ne pense jamais à elle, elle se sacrifie pour son mari, elle finit toutefois par trouver une forme de sérénité. En trouvant ce qui est important pour elle. Elle ne peut plus ignorer ses sentiments. Et d’ailleurs Steven se ment aussi. Il aime Katerina. Est ce que le déni est une sorte de vrai personnage pour vous ?
Rebecca Miller : C’est une question très intéressante. Une de mes scènes favorites, dans le film, est quand Katerina lui parle dans la rue, en le suivant. Et lui, il se bat contre les sentiments qu’il ressent pour elle. Nous avons tant d’espoirs dans notre vie. Il est un compositeur célèbre de Brooklyn…Et soudainement…il se retrouve dans ce bateau ! Et… Peut être que le travail de Katerina, dans ce film, et d’amener les autres dans leur propre vérité.
Tristan Baille : Je vois. Souvent, dans nos vies, nous fuyons la vérité pour soulager notre conscience. Pour rester dans une zone de confort. Pensez vous que les films, l’art en général, permet aux gens de changer, profondément, leur existence ?
Rebecca Miller : Il y a des films qui m’affectèrent. Profondément. Au point que je ne pouvais pas parler pendant un long moment. Je pense que cela touche surtout notre inconscient. Ça touche notre cœur et toutes nos pensées . J’aimerai beaucoup que le public…ressente, vibre…grâce au film.
Tristan Baille : Mais comment l’idée est venue ? C’est une superbe histoire avec plusieurs personnages. Est ce que c’est la vie personnelle qui…
Rebecca Miller : Non. Cela a commencé avec un roman que j’avais écrit il y a dix ans. Comme quoi il y a des choses qui nous collent à la peau. Cette histoire avec deux jeunes qui s’aiment. Et nous avons cette tendance à oublier ce premier amour. Dans le film, le garçon lui dit «Le truc normal à faire c’est de rompre. Mais un jour, quand on sera mariés, je me demanderais toujours où est ce que tu es ». C’est une phrase si romantique. Ce speech était déjà dans ma tête. Je l’avais d’ailleurs dit à mon équipe. Alors…j’ai essayé de parler, avec le personnage de Patricia, de cet amour métaphysique. C’est presque comme des mathématiques. Quand votre histoire commence, il y a plusieurs composants. Et il faudra construire quelque chose avec. Alors parfois cela ne marche pas. On tente une expérience. Une autre. On avance. Parfois, cela prend des années. Mais vous construisez quelque chose. Cela ressemble à un grand soufflé, mais il y a beaucoup de sueur, de transpiration dans la cuisine.
Tristan Baille : Quel est votre prochain projet ?
Rebecca Miller : Je ne sais pas encore. J’ai plusieurs idées. Un autre film. Un roman. Je reçois des scripts. Maintenant, je me sens libre. J’ai un peu de temps pour moi.
Tristan Baille : Merci beaucoup, Rebecca Miller. Pour cette rencontre avec Crush Magazine, au Royal Barrière, pour le festival américain de Deauville.