14 h.
Je rencontre la comédienne Gaëlle Billaut- Danno dans un lieu qui porte le nom d’un Tristan bien plus illustre que moi. Tristan Bernard. Magnifique théâtre.
Accoudés au bar, face au miroir, elle est toujours aussi authentique. Après « le bar de l’oriental », je la retrouve aujourd’hui dans une pièce très différente.
Tristan Baille : Merci de me recevoir ici au Théâtre Tristan Bernard. J’ai eu la chance de te découvrir l’année dernière dans « le bar de l’oriental ». D’où vient cette passion pour le théâtre ?
Gaëlle Billaut-Danno : Même si je ne me le suis jamais avoué, ça vient de l’enfance. Ma mère était chanteuse et comédienne. C’était mon milieu, et je traînais dans les coulisses de théâtres et je trouvais ces endroits magiques. J’ai toujours aimé l’ambiance qu’il y avait entre les acteurs. L’esprit de troupe. Cette effervescence avant de monter sur scène. Tout ce que je pouvais ressentir enfant, en venant passer du temps en coulisses. Ça m’a imprégné, quelque part, et même si j’ai commencé par une carrière dans le marketing et la communication, finalement, ces petites graines semées en moi se sont développées petit à petit pour, à un moment donné, frapper à ma porte et me dire « Alors ? On y va ? ».
Tristan Baille : Si tu devais décrire cette pièce, la résumer en quelques phrases…
Gaëlle Billaut-Danno : On pourrait appeler ça…un thriller familial. Ce sont les retrouvailles d’une fratrie qui ne s’est pas vue depuis des années. Parce qu’il y a eu un événement dramatique, et la fratrie a explosé. La fille dont je joue le personnage a fui sa ville natale. Elle revient au moment du décès de sa mère. Et comme souvent dans ces instants, quand on se retrouve au décès d’un des parents, il y a beaucoup de choses qui remontent à la surface. Mais je ne peux pas dévoiler la suite !
Tristan Baille : Non, pas de spoil ! Ton personnage revient pour cette difficile expérience qu’est embaumer sa mère…c’est particulier à jouer.
Gaëlle Billaut-Danno : Oui. D’ailleurs quand j’ai découvert ce texte, j’étais en train de perdre ma mère, et du coup ça a eu une résonance particulière pour moi. Ce personnage dont le métier est de « réparer » les morts. Ce n’est pas rien de choisir cette fonction. J’ai trouvé cette personnalité mystérieuse, à la fois froide en apparence et d’une grande sensibilité et fragilité.
Tristan Baille : Quelle est la principale difficulté avant d’entrer sur scène quand on joue un huis clos aussi étouffant ?
Gaëlle Billaut-Danno : Je me prépare avec de la musique. Pendant un temps, je suis avec mes camarades, dans l’échange, la rigolade, et puis à un moment donné, je me mets dans ma bulle. Je sens qu’il est temps de m’immerger.
Tristan Baille : Penses-tu que les familles se cachent autant de choses que ces personnages ?
Gaëlle Billaut-Danno : Pas autant ! Le secret est énorme et d’ailleurs personne n’arrive à le deviner. C’est assez fou. Il y a toujours des choses qu’on ne sait pas. C’est normal. Le rapport parents enfants…il y a une forme de pudeur. Ça va des petits secrets sans conséquences à des choses énormes qui ont des répercussions sans qu’on le sache. Je crois beaucoup à l’impact des traumatismes vécus dans une famille d’une génération à une autre. De nos grands-parents à nos parents etc…Ce sont des secrets de famille qui ne se disent pas. Mais il y a aussi beaucoup d’amour et de tendresse.
Tristan Baille : Oui dans la pièce il y a beaucoup de rires même.
Gaëlle Billaut-Danno : Effectivement. Je trouve que les anglo saxons et québécois savent très bien faire ça. Insuffler de la comédie dans des situations difficiles.
Tristan Baille : Merci pour cet échange.
Gaëlle Billaut-Danno : Merci à vous.
21 h. Je suis assis. Noir. Une neige du meilleur effet. Gaëlle apparaît. Magnétique personnage de Mireille.
C’est un huis clos cruel, souvent étouffant, intime, dramatique, drôle. Une famille, dévorée par les ressentiments, cache dans son cœur un passé silencieux qui ne peut plus se dissimuler. Le décès d’une maman redonne vie à la vérité. Et il va falloir l’entendre et l’affronter, cette vérité.
Mireille, célèbre dans son métier « particulier », revient dans la ville où elle est née pour…embaumer le corps de sa défunte mère. Ce qui est bien différent des célébrités dont elle s’est occupée. Ses trois frères sont là. Une éternité sans les voir. Ce n’est pas rien. Elle ne sait pas grand chose de leur vie, de leurs enfants, de leurs séparations. De leurs cicatrices. Problèmes mentaux. Un retour inattendu. Les spectres anciens hantent le lieu, la mémoire.
Que s’est il passé ? Le public s’interroge.
Qu’a-t-il pu arriver pour que cette famille unie se sépare ?
Leur rédemption passera par la vérité. La vérité sur la nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé. Et au départ, c’est sordide que ce corps si réel et pourtant sans vie. Mireille, interprétée par Gaelle Billaut-Danno s’occupe encore, sans relâche, de sa mère. Du sang. Des lingettes. Des peignes. Un sourire à créer. Des coquetteries qui peuvent parfois surprendre. Elle est revenue pour sa mère et bien plus que ça. Elle écoute ses proches qui ne le sont plus vraiment. Leurs déboires quotidiens. Chacun délivre son monologue, ses reproches, sa tristesse. Mais il y a encore de la tendresse derrière l’amertume. Le même sang coule dans leurs veines et les souvenirs les relient dans un recueillement où on se surprend à rire. Des ventes sur EBay. Du cynisme. L’ironie bat son plein avec les téléphones portables et des adultes qui ressemblent à des ados. Le public s’esclaffe. Hésite. Mais les fleurs affluent moins que la souffrance. Un point de rupture approche et Gaëlle Billaut- Danno délivre soudain l’innommable. Les spectateurs retiennent leur souffle face à l’horreur. Ce qu’il s’est vraiment passé jadis, et que je ne peux pas écrire ici. Les familles et leurs secrets. Les familles et la honte. Les familles et cette mère dont les mains froides cachaient son visage mystérieusement. La mise en scène de Didier Brengarth est incroyable. La neige de l’hiver. Le vent. L’éclairage. Le décor froid et aseptisé. Les flammes sur les rideaux. Jusqu’à l’urne aux cendres encore chaudes de ces scènes trop lourdes à porter. Gaëlle Billaut-Danno est époustouflante. Elle incarne avec brio cette femme fragile et courageuse. Et ce texte somptueux de Michel Marc Bouchard.
De : Michel Marc BOUCHARD
Mise en scène : Didier BRENGARTHAssistante mise en scène : Stéphanie FROELIGER
Avec : Gaëlle BILLAUT-DANNO David MACQUART Marie MONTOYA Benjamin PENAMARIA Julien PERSONNAZ Margaux VAN DEN PLAS
Scénographie : Olivier PROST
Création lumières : Mathieu COURTAILLIER
Costumes : Mathieu CRESCENCE
Création visuelle : Mathieu COURTAILLIER ET Didier BRENGARTH
Conception sonore : Antoine DAVIAUD
Production : Ki M’aime Me Suive, Théâtre Tristan Bernard et Tcholélé Théâtres
Texte publié aux éditions Théâtrales, éditeur et agent de l’auteur.
ACTUELLEMENT
mardi au vendredi à 21h
et
samedi à 16h et 21h Au Théâtre Tristan Bernard