Tristan Baille : Bonjour, Juliette Behar.
Juliette Behar : Bonjour !
Tristan Baille : Juliette, que préfères tu dans ton métier ?
Juliette Behar : C’est de pouvoir être plein de personnages différents. Sans impacter ta vie. Être plurielle. Comprendre des personnages. Leurs failles. Tendresse. Humanité.
Tristan Baille : Holidays. Les misérables. Du charbon dans les veines. Tu as beaucoup de cordes, vocales d’ailleurs, à ton arc ! D’où vient cette polyvalence et quel est ton parcours ?
Juliette Behar : Je viens d’une famille de l’éducation nationale. Ils sont tous profs ! Mais mes parents faisaient beaucoup de musique aux fêtes de famille, ça jouait de la guitare, mon frère aussi, il fallait venir en présentant un sketch, une chanson, donc ça a influencé l’envie de scène. Puis j’ai fait du théâtre à partir de 6 ans. Une révélation. J’ai dit que je voulais être actrice ou chanteuse. Mon rêve de petite fille, c’était actrice de cinéma.



Tristan Baille : Rien n’est perdu !
Juliette Behar : Oui la partie n’est pas finie ! Enfin, après le bac, j’ai découvert qu’il y avait des écoles de comédies musicales, et je me suis dit « ça existe de tout apprendre en même temps ? ». Mais j’ignorais qu’en rentrant dans une école de ce genre, tu développes le réseau qui y correspond. J’ai travaillé dans ce domaine là. Mais ça a pris du temps pour arriver au théâtre. À une époque, quand on faisait plusieurs choses, ça voulait forcément dire qu’on les faisait mal. Et donc on ne pouvait pas le faire séparément ! Mais heureusement, les mentalités évoluent. Par contre, j’ai encore tellement de camarades talentueux qui ne sont pas convoqués pour des auditions, parce que s’ils sont chanteurs, ils seraient mauvais comédiens ! Donc c’est une lutte pour prouver le contraire. Car on est riche de plein de choses.
Tristan Baille : Comment as tu préparé ce personnage dans le « Charbon dans les veines » ?
Juliette Behar : On a regardé des documentaires de l’Ina qui inspiraient Jean Philippe Daguerre. Ça permettait d’avoir une idée visuellement plus précise. À quoi ressemblait leurs conditions de vies. Leurs maisons. Je les écoutais parler. Le ton était daté mais on ne devait pas le copier, on devait s’en inspirer. En fait, pour travailler un rôle, je pars vraiment de ce que je ressens à la première lecture du livret. Lorsqu’un personnage est bien écrit, on peut vite avoir une projection visuelle. Comment il va se tenir. Comment il va parler. Je travaille beaucoup avec mon corps. L’idée était de compter de comment on se sent quand on est mis à l’écart. Quand on vous regarde de travers, quand on ressent cette méfiance qui se développe. J’ai travaillé sur ces éléments : être sur ses gardes, être mal à l’aise. Ce monde qu’elle ne connaît pas. En ignorant s’ils l’accepteront. Et cette retenue, cette pudeur des sentiments. Dans un monde, lieu, où on ne s’exprime pas quand ça ne va pas. Cela m’a permis de la trouver telle que je la pensais.

Tristan Baille : Tu étais dans « Marie Tudor » au Festival d’Avignon. Une pièce très différente.
Juliette Behar : J’ai joué le rôle de Jane. La jeune fille confrontée aux foudres de la reine. Un spectacle que j’ai eu la chance de vivre.
Tristan Baille : Très loin de ton personnage de Leila. Mais tu as été au charbon aussi si je puis dire !
Juliette Behar : Elle est plus pure. Plus innocente. Protégée…Son monde bascule quand elle découvre l’adultère. Et elle doit se battre pour sa vie et celui qu’elle aime.
Tristan Baille : Le personnage de Leila est peut être plus nuancé, entre le franc parler et la douceur.
Juliette Behar : Leila est bienveillante mais elle peut surprendre. La subtilité est belle. Un personnage qui ne serait que brutalité ou douceur serait pénible à interpréter. Ni très intéressant à regarder, d’ailleurs.
Tristan Baille : Il n’évoluerait pas.

Juliette Behar : Oui. Dans cette pièce, il y a des choses différentes à jouer. On peut chercher plusieurs émotions. C’est une quête sublime. Au début, on cherche, les choses se créent peu à peu, on trouve des trucs, et ça se construit en équipe. Et à un moment donné, on a la sensation de ne plus évoluer, de stagner. Comme si « on avait fait le tour du personnage ! », alors que pas du tout ! Il y a donc ce passage de doutes, de questionnements, et après ça se ranime. Les partenaires renvoient leur propre énergie et on prend conscience de plusieurs éléments qui s’avéraient invisibles à l’origine.
Tristan Baille : La comédie Musicale Madiba. Oliver Twist. Le rouge et le noir. Dom Juan. Le registre est vaste !
Juliette Behar : Plus on explore, plus on s’en nourrit ! Ça m’équilibre. Ça me fait vibrer. Chaque œuvre, comédien, m’apporte quelque chose. Et j’ai besoin, oui, de la musique. Chanter des chansons apporte une autre dimension aux sentiments. J’ai eu beaucoup de chance. Jean Philippe Daguerre est le premier, avec Charlotte Matzneff, à m’avoir donné la chance de faire du théâtre sur « Le médecin malgré lui » et « La chambre des merveilles ».
Et je les remercie. Jean Philippe Daguerre m’a fidèlement proposé plusieurs projets à la suite. Un planning continuait, une aventure nouvelle à vivre, avec une visibilité sur le long terme. Car tout peut s’arrêter dans ce métier. Le rythme est soutenu pour moi, par chance, et je peux jouer dans des pièces si différentes ! Le classique m’effrayait au départ. Comment être naturelle avec des mots anciens ? Mais j’ai travaillé pour cette sincérité. C’est un challenge quotidien.
Tristan Baille : À propos de challenge, Leila, la belle marocaine, fait chavirer deux cœurs ! Quelle était la principale difficulté ? Une telle amitié pourrait subsister dans la réalité ?
Juliette Behar : La difficulté ? L’accordéon. Un défi. Instrument difficile. Et très peu de temps. Ça devait être convaincant. Et, oui, j’aime à penser que leur amitié serait sauvée. Si c’est une amitié authentique.
Tristan Baille : Quelle est la particularité de Jean Philippe Daguerre ?
Juliette Behar : Pour Jean Philippe Daguerre, le théâtre n’est pas le temps de la vie en quelque sorte. Il nomme cela le « Picado ». Il demande peu de réflexions entre les répliques. Alors il gomme souvent les temps. Les phrases sont collées. Comme si elles s’embrassaient.
Tristan Baille : Un rythme donc…
Juliette Behar : Les enchaînements sont essentiels. Avec une rigueur parfois perturbante. En tant que comédienne, on se demande même comment on va pouvoir être émue à un moment précis ou à un autre. C’est déroutant. Mais finalement, cela n’empêche pas l’émotion d’arriver. Au contraire ! D’ailleurs, dans le spectacle « Holidays », on a instauré cette même rythmique qui a amené du corps, de la densité au spectacle.
Tristan Baille : Dans « du charbon dans les veines », certaines scènes sont si touchantes…Les couples, jeunes ou vieux. Les deux amis. Les pères et leurs fils.
Juliette Behar : C’est vrai. Et il y a beaucoup de dialogues incroyables. D’où ce rythme pour les rendre vivants. Réels. L’urgence apporte la densité. Crée une profondeur grâce à la mise en scène. Les rares silences sont ainsi mis en valeur et deviennent magiques.
Tristan Baille : D’autres projets ?
Juliette Behar : Un Pagnol. Avec Jean Philippe Daguerre !
Tristan Baille : Avec l’accent marseillais. Après l’accordéon, l’accent ! Merci beaucoup, Juliette, pour cet échange. Et bravo pour ta nomination !
Juliette Behar : Merci à Crush magazine !



















