Le soulier a trouvé sa pointure.
Le navire battu par les flots au départ était envoûtant. Le père jésuite. Mourant. Espérant que son frère Don Rodrigue abandonne l’amour pour le seigneur.
Mais l’attrait que l’on a pour l’autre est irrésistible. Comme Rodrigue et Dona Prouheze, épouse de Don Pelage qui, lui, doit marier sa nièce.
C’est une histoire complexe. La pièce dure des heures. Il me faudrait bien des pages pour résumer tant de lieux et bien des personnages. La citadelle de Mogador. Une auberge de Catalogne. Une lettre du personnage de Prouheze et Rodrigue qui s’éloigne de sa responsabilité de gouverner les Indes / Amériques. Une bagarre. Une fausse procession. Une blessure. Un château. Une rescapée d’un naufrage. Des soupirants. La lettre du personnage Prouheze qui devient une légende. Dix ans plus tard, Sept épées, fille spirituelle de Rodrigue, tente de ranimer son désir d’aventure. Mais il sera vendu comme esclave plus tard. Alors que Sept épées voudra libérer les captifs.
Le son des vagues…et cette tempête qui envahissait la salle Richelieu, les mouettes faisant des liens poétiques lors des entractes, comme si le voyage continuait. C’est un spectacle qui se déroule à l’époque des conquérants. La mort les attend peut être et l’amour les pousse en avant, leur fait croire en une vie meilleure. Mais certains personnages hésitent, aussi partagés que l’orchestre partagé en deux. Aidés par des anges parfois cruels.
Les personnages deviennent eux mêmes des navires battus par le flot d’émotions, qui s’exaltent avec leurs prières. Le monde qui les entoure est d’une poésie fantastique grâce au travail d’Eric Ruf. Le navire poussé sur la mer par le vent, et aussi la forêt en transparence. Le texte surprend parfois avec de l’humour, sans oublier la musique et des chants doux, envoûtants.
Les personnages s’élèvent. Flottent. Volent légèrement.
Les mouettes survolent un port et les personnages défilent près des spectateurs.
Les personnages qui sont d’ailleurs parmi nous à l’entrée, avant même de monter les escaliers, puis dans la salle. Créant une atmosphère magique. Ils sont proches, déjà, pour nous, avec nous. La foule devenant aussi des personnages dans l’ombre grâce à des accessoires. Et…Des costumes sublimes. C’est une pièce immense. Puissante. La mise en scène est subtile. Elle délivre des sentiments intenses. Les rires et la souffrance.
La quête de l’amour absolu. De l’âme.
Paul Claudel et la poésie, dans un 19eme siècle où les artistes se posent tant de questions.
Le destin est il écrit ? Sommes nous les marionnettes d’une fatalité blottie en nous ?
Des anges gardiens sont-ils avec nous, près de nous ? Peuvent ils nous protéger de nous mêmes ? De la politique ? Des desseins secrets des rois ? De leurs manipulations malsaines ?
La mort est elle l’unique délivrance ?
Est ce une difficulté de se livrer corps et âme en amour ? Est ce par peur de l’autre ? Peur de l’abandon ? Est ce la cruauté des êtres ? Est ce que l’amour est cette alliance entre le désir et les sentiments ? Ne se moque t il pas des lois ? Des règles ? Des définitions ?
N’est ce pas merveilleux de ressentir cet élan, ce brin de folie, de joie, de fantaisie ? Que sommes nous capables de faire pour l’être aimé ? Quels sacrifices au péril de notre vie, de notre bonheur ? L’amour n’est il pas de la poésie, comme si les corps devenaient des rimes qui s’enlacent ? L’amour n’est il pas des mots exacerbés qui s’envolent puis qui s’écrasent ? Une illusion dans une vie ?
Tout le long de la pièce, Paul Claudel semble insister sur l’amour impossible. C’est un sentiment trop puissant, incontrôlable. Charnel. Que nul ne peut brider. La chair est désirée. Mais l’appel de Dieu est salvateur.
Sept heures de spectacle. Un travail énorme pendant la 2ème pandémie pour la programmation en ligne à la base. Une profusion d’images pour ce texte que Jean-Louis Barrault, Antoine Vitez aimaient.
Une vie entière est parcourue. On voit les gens vieillir sur trente ans. Tout paraît si désordonné. Provisoire. Fragile. Une épopée pour une troupe extraordinaire. La maison de Molière.
Le soulier de satin a trouvé sa pointure. Celle d’Eric Ruf.